LES ANNALES DU JOHN AU FOND DU COULOIR A GAUCHE
Les annales du john au fond du couloir à gauche est un livre de Robert PICO.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'histoire du john est un sujet qui nous concerne tous : comme le sommeil, les états d'âme de miss France ou l'existence de Dieu.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'histoire du john est un sujet qui nous concerne tous : comme le sommeil, les états d'âme de miss France ou l'existence de Dieu.
Sujet original que Robert Pico a traité avec humour et délicatesse. On sourit souvent au fil de ces pages douces et soyeuses. Jamais de vulgarité de la part d'un écrivain qui signe son 17ème livre.
Les rares mots crus semés dans ces lignes sont signés Rabelais, Ronsard, Voltaire, Boileau, Georges Bataille, Gainsbourg et d'autres...
Sobre mais sans sècheresse, drôle et fulgurant, Le john est un antidépresseur efficace qui, comme on dit, devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Du reste, il paraît que la question est à l'ordre du jour dans les bureaux du Ministère...
LES PREMIERES PAGES DE LES ANNALES DU JOHN AU FOND DU COULOIR A GAUCHE :
Ce matin-là, l’aurore ressemblait au lendemain d’un soir embaumé par les fleurs lasses d’offrir leurs corolles exténuées à la caresse irréelle de la nuit.
Oceanfront Hotel, à Palm Beach, - Floride -, en me réveillant dans une chambre grave de vieux silences accumulés, j’avais longuement retardé le moment d’ouvrir les yeux. Je m’étais donné quelques longues minutes, berçant en moi ce qui me restait de sommeil, émergeant avec la douceur d’une bulle de savon détachée de sa paille.
Il est fort probable que nous vivons aujourd’hui dans le siècle le plus sanglant et le plus négatif de tous les temps, surtout si on y ajoute la dégringolade du catholicisme et la grimpée de la pédérastie ; aussi, en ce premier jour du reste de ma vie, je décidai d’opter pour l’optimisme et de me glisser dans la peau du Minotaure, pourfendeur d’embruns terrestres, monstre encorné qui, jadis, avait orné les temples d’Assyrie. J’étais l’incarnation d’une âme neuve, le grand mystère de la vie qui se perpétue, l’amour en devenir, la race qui se continue, l’humanité qui marche encore. J’avais la sangre torera. Ma destination c’était d’être … el magnifico !
Quelques minutes plus tard, confortablement établi sur l’ovale du john, me laissant caresser par un rayon de soleil qui frappait aux carreaux, j’avais aimé savoir qu’il me restait encore deux ou trois instants pour étirer ce petit coin de vie comme on se débarrasse des moiteurs de la nuit en se débarbouillant.
Je rêvais de voie lactée et d’une nuit de Walpurgis façon Mendelssohn. Et je me mis à siffloter son hymne des mariés qui entrent à la mairie ; lui, souvent avec un air bête au bras de son papa, et lui, ému, ou qui fait semblant, lui aussi au bras de son papa.
Le jour avait pointé sous la lune, pleine encore, comme un ballon de sang. Fenêtre largement ouverte, une odeur âcre de poussière avait saisi ma gorge asséchée par la pulpe d’un vent qui laissait écouler l’espace. Profond et dense à la fois, le ciel offrait la merveille baroque d’une palette où, comme dans certains bijoux espagnols, s’ajustent les nuances de l’or, la patine douce d’une montagne lointaine sous sa voilette mauve et mille tonalités de verveines qui s’éternisent à pénétrer doucement dans la mer.
A la radio j’écoutais un type qui chantait avec des grâces aux élégances nostalgiques et, sous des splendeurs désespérées, le son éclatait pleinement avec de belles rondeurs cuivrées et des chatteries aux fêlures pudiques et graves. Précipité d’une alchimie capiteuse, il incarnait cette combinaison instable entre beauté sauvage et extrême sophistication. Il interprétait Let’s get back to me and you d’une voix creusée aux Marlboro Red, comme le cowboy de la marque sur de la country-rock qui soulevait une poussière de western.
Le john, c’est pour moi l’endroit familier où nous allons plusieurs fois par jour. Seuls. A pied, le plus souvent. Ce lieu intime, j’aime l’appeler ainsi, plutôt que de l’accabler d’un mot trivial.
Je ne voudrais surtout pas choquer en m’exprimant, comme Voltaire qui affirmait : « Mieux vaut péter en bonne société que de crever tout seul derrière un buisson », ou comme Georges Bataille qui prédisait que « … le jour où les excréments auront de la valeur les pauvres naîtront sans trou du cul ».
(Pour être exact, il avait utilisé le mot de Cambronne).
- T’es où ?
- Au john, je réponds invariablement derrière la porte quand on me cherche.
Je passe beaucoup de temps en Louisiane où, comme dans de nombreux états - du Maine à la Californie, et du Montana au Mississippi -, on désigne le coin dit « petit » par the john, et même par d’autres mots plus ou moins grossiers. J’emploie ce terme sans doute par pudeur, pour ne pas être grivois, ni trop cru. Moins rabelaisien que dans la langue de San Antonio. C’est comme si en France, par exemple, nous disions (mais on ne le dit pas), aller au fernand, au françois, à l’arsène, au jean-paul ou au barnabé !
On raconte aux USA que l’appellation the john vient (viendrait) de John Nitti, appelé « the snake » (1884 -1940), frère de Frank Nitti, l’un des porte-flingues d’Al Capone. Parce qu’il passait plus de trois heures par jour sur sa cuvette !
Il a d’ailleurs été assassiné en y trônant dessus…
Sans vouloir souiller son image ô combien glamour, Marilyn Monroe y allait seule aussi. Au john.
Comme cela devait être charmant ! Ses jambes fuselées, ses ronds genoux, sa blondeur platinée hollywoodienne. Pâleur du teint. Le 5 de Chanel sous les dentelles …
Son endroit jouxtait la salle de bains de sa chambre dans sa luxueuse maison de la fifth Helena Drive à Brentwood, Californie.
Pareillement, à la Boisserie De Gaulle avait son endroit intime où il allait sans être accompagné, ni de son aide de camp ni de tante Yvonne.
Idem le pape au Vatican où, sur les murs, il doit y avoir des jésus en croix, des portraits de la Vierge Marie peints par Bellini ou Fra Angelico, peut-être un porte-rouleau en bois précieux, des cierges dans un chandelier en or massif, une balayette en poil de vison bénie par le pape précédent et, bien évidemment, un Saint-Siège.
Ainsi, nous tous, tous les jours, plus ou moins, nous y allons. Au john.
Tous les jours ?
Non, pas tout le monde. Voltaire, qui s’était surnommé Chie-en-pot-la-perruque, pas du tout. Il était, disait-on, un « ventre serré ». Un « empêché de la chaise percée ». Voltaire, et beaucoup d’autres, comme Charles IX, Caravage (qui se bagarrait souvent à cause de ça) Brahms, et la marquise de Sévigné.
« Comment allez-vous ? Comment vas-tu ? » Nous prononçons cette phrase plusieurs fois par jour. Sous-entendu, « Comment allez-vous, ou comment vas-tu aux … commodités ? Aux latrines ». A la garde-robe, désignait-t-on la chose en d’autres temps. Pour la « grosse commission », disent les enfants.
Le bon fonctionnement du tube digestif, c’est important pour la santé. Vital.