LA DEPECHE DU MIDI :
Robert Pico fait parler la poudre cet été. Écrivain, musicien, compositeur pour Delon, Régine,Bourvil et bien d’autres..., le Montalbanais sort un vingtième livre qui ne vous laissera pas de marbre : "Gangstern, comme on dit... Western !", publié chez Jean-Marc Savary. Le pistolero des mots, passionné des USA nous transporte de l’univers des cow-boys à celui de la mafia d’Al Capone ou des clubs de jazz de Haarlem. De quoi frémir jusqu’à la dernière page.
Avec "Gangstern", vous écumez 50 ans d’histoire américaine, en nous entraînant du Nouveau-Mexique, en plein Far West jusqu’à un club de jazz de Haarlem. Quelle cohérence y a-t-il dans toute cette fresque ?
Dans cette biographie historique, qui tient de la fresque cinématographique, je raconte les diableries du gangster Kenny Braco (1880-1938) personnage Américain haut en couleur, né d’un viol, en Louisiane, abandonné par sa mère et adopté par un couple qui, de Louisiane, s’est fixé au Nouveau-Mexique, à Santa Fe. Après avoir commis adolescent de menus larcins, il a glissé vers la grande délinquance et a connu et vécu la Révolution mexicaine, la Prohibition et la guerre des gangs dans les régions du Rio Grande. C’est par hasard, en Louisiane, en rencontrant son petit-fils, que j’ai découvert son existence et que je me suis intéressé à sa vie pleine de reliefs et de rebondissements. Il a connu Butch Cassidy, Buffalo Bill, Pancho Villa, Al Capone, le jeune Louis Armstrong et Joe Kennedy, le père de John. La cohérence est totale, puisque c’est une vie de cinquante-huit ans que je raconte, de A à Z.
Comment qualifieriez-vous Braco ?
Braco est un Américain, certes, gangster, mais courageux, rebelle et transgressif. Et éminemment sympathique. Mon ami Denis Tillinac, qui a écrit la 4 ème de couverture, dit qu’il est ce môme qui aime bien sauter dans les flaques d’eau ! Ce qui résume bien le personnage !
Qu’est-ce qui vous a rendu aussi accro de l’Amérique ?
Ce qui m’a rendu accro des USA, c’est d’abord le jazz, les grands paysages de l’Ouest, New York, San Francisco et les écrivains américains, comme Bret Easton Ellis, Jim Harrison et Jack Kerouac. J’ai deux petites-filles américaines, Anna et Scarlett, nées en Louisiane. Je suis allé aux USA une bonne quinzaine de fois, notamment pour les disques (45-tours) que j’ai enregistrés dans les Sixties pour la firme américaine RCA.
Quel regard portez-vous sur l’Amérique d’aujourd’hui, l’après-Trump ?
Mon regard sur l’Amérique d’aujourd’hui est un regard plein d’amour et de tendresse, d’autant que Trump, qui a sali l’image de son pays, est "out" ! Si j’étais Américain, je serais Démocrate, et surtout pas Républicain ! J’ai confiance en Joe Biden, qui va redonner de l’éclat à l’Amérique (pays que je considère un peu comme le mien).
LA PREFACE DE DENIS TILLINAC :
« Gangstern », comme on dit « western », raconte les diableries du gangster Kenny Braco, personnage courageux, rebelle et transgressif. Il est ce môme qui aime bien sauter dans les flaques d’eau !
« Premier clap » … bouleversant (1880), au bord du Mississippi en Louisiane ; « clap de fin et arrêt sur image » … ineffable et terrifiant (1938), à Santa Fe au Nouveau Mexique. Entre les deux, ses tumultueux quotidiens se sont noués à d’improbables rencontres, où s’y récapitulèrent Butch Cassidy, Buffalo Bill, Pancho Villa, Al Capone, Louis Armstrong, Joe Kennedy (père de John), et une jeune future grande star hollywoodienne, dont il fut le premier amant.
Solidement documentée sur la Révolution Mexicaine, la Prohibition et la guerre des gangs dans les régions du Rio Grande, cette biographie romancée balance ses allegro vivace, comme de la bonne country bousculée par le santa ana, le vent des grands espaces qui, en soufflant, soulève une poussière de western.
Nourrie par mille anecdotes gangsterniennes, cette fresque cinématographique de la vie (hérissée de cactus !) de Braco maintient constamment le lecteur sur ses ergots. Les descriptions du Wild West des USA s’ébrouent dans un magnifique miroitement de détails, engendrant, comme dans un film de Scorsese ou de Sergio Leone, les parfums, le son, l’image et ses luxuriants chromatismes.
Mon ami Robert Pico connaît parfaitement bien les USA, où il se rend tous les ans - en Louisiane -, dans sa famille américaine.
LES PREMIERES PAGES DE GANGSTERN :
Deux ans après le krach boursier de 1929 l’économie américaine bandait mou et branlait dans le manche. En plein dans la « Grande Dépression » (plus de huit millions de chômeurs, faillite des banques, Prohibition), au bord du burn out, le Président quaker Herbert Hoover contrôlait la situation comme un gros-bras complètement bourré au volant de son trente-tonnes. Fixé en Louisiane, contraint de travailler à cause de la crise financière, Tennessee Williams devenait secrétaire de direction dans la fabrique de chaussures où son père était employé. Il n’avait pas encore écrit « Le printemps romain de Mrs Stone », « Un tramway nommé Désir », ni ses autres chefs-d’oeuvre.
Le 3 décembre, arrivé la veille à New York par l’express de Santa Fe pour y rencontrer Al Capone, - qui, pour quelques jours, venait de quitter Chicago -, Kenny Braco ne pensait ce jour-là qu’à satisfaire sa soif de « nouveautés » ; aussi, le soir même, se mit-il en quête d’une jeune beauté compréhensive qui voudrait bien rallumer les brandons assoupis de sa baraque à frites. Et il partit plein d’entrain et d’espoir en direction de Times Square.
Passant par la West 29th Street, sans doute pour se faire pardonner à l’avance, il avisa la Church of the Holy Trinity, curieusement hissée sur un torrent d’escaliers qui coulait du haut d’un tertre fait de terre rouge, de parpaings et d’agglomérés comprimés. Coincée entre deux immeubles d’une soixantaine d’étages, c’était une petite église d’une pauvreté douce, nimbée d’un silence froid.
« C’est le temps qui répand sur la façade des églises d’Europe cette sombre couleur des siècles qui fait de leur vieillesse l’âge de leur beauté, se dit-il. Celle-là est hélas trop récente ».
Mais il l’aima pour sa lumière avaricieuse cascadant des vitraux multicolores, pour ses médiévales odeurs de pénombre, ses senteurs d’encens et de cierges dans les recoins secrets des absides, pour la patine des chaises en paille et les coupables murmures des pénitences au voisinage du petit confessionnal.
Il avait admiré un portrait anonyme de Jésus accroché dans la partie gauche du transept. Ce tableau étincelait et flamboyait par sa croix d’or, dont les fins contours, dissous dans le reflet d’une lueur sainte, ombraient d’une teinte de sang un Orient imaginaire tout allumé de perles multicolores.
Progressant dans la 42 ème Rue, son œil fut attiré par un établissement aux scintillations d’étoiles - le Diam’s -, qui lui fit penser à une vieille douairière assassinée à qui on aurait laissé ses bijoux avant de la faire glisser dans le cercueil. Il se risqua à l’intérieur. Gesticulations désordonnées sur la piste de danse. Lumières canailles. Décibels survitaminés.
Une « chercheuse d’or » guettait les arrivages. Apparemment attirée par les rutilances, elle brillait de mille feux qui lançaient des éclairs à chaque mouvement.
Basse du cul, mais haute en couleur, elle avait les yeux bleus de ceux qui ont vu la mer de près. Collier rouge de caniche à sa mémère, bagouzes africaines à chaque doigt, bracelets en toc massif. Sur son T-shirt rose était écrit en lettres fluo : « Fumar obstruye las arterias y provoca cardopatias y accidentes cerebrovasculares ». Elle était juchée sur un gros bidon vert et jaune Kendall Motor Oil, que … - selon l’élégante expression populaire -, « … si tu baisses pas le capot, je vais continuer à te voir le moteur ! »
Fille légère pour poids lourds. Rêves métalliques, bielles en feu, elle était triste comme ces filles au bal qui gardent le sac à main des copines en train de se trémousser sur la piste de danse. Joliment contournée la mignonne, en dépit de ce côté endommagé qui, finalement, lui allait très bien.
Quelques années plus tard, Kenny disait : « A son faciès ambré, j’avais d’abord pensé qu’elle était la miss truckstop d’un coin paumé du Colorado, de l’Arizona ou du Mexique. Une T & A, comme on dit chez moi : Tits and ass. Conne, mais bonne. Sans doute une petite briseuse de ménages aux cheveux blonds décolorés, carrossée modèle dix-huit-roues et juponnée façon pétasse, à mi-cuisses. Si un jour elle a décidé de léguer son bas du dos à la Science, et si elle n’est plus de ce monde aujourd’hui, sa dissection aura assurément ravi les amateurs d’énigmes en auscultant l’indicible, l’indescriptible, l’ineffable, et la résistance d’un épiderme rompu aux exercices relatifs à la gestuelle de la procréation ; peut-être, même, auront-ils découvert le mystère du mouvement perpétuel … »
Près de Kenny trois ou quatre couples riaient fort. De la main, il fait signe à la blonde. « J’ai parfois un désir de retard, mais comme j’ai souvent un geste d’avance, ça compense ». D’une grâce déliée, elle chavire de son bidon et rapplique. Docile. Elle marmonne quelque chose, et il eut l’impression de l’entendre dire : « … A consommer sur place, ou c’est pour emporter ? »
- Eh ! poupée ! C’est quoi ton nom ?
- Allison. Et vous ?
- Mon nom te dira rien.
- Oui, mais quand même …
- Rien, je te dis. Assieds-toi, là. Dis-moi, tu rappliques d’où ? Quel coin de cambrouse ?
- Magnolia, Arkansas.
- C’est joli, Magnolia ? Ça sent la fleur ?
- Non, ça pue !
- Ça pue quoi ?
- Le maquereau.
- Le poisson ?
- Pas … exactement ! … C’est bizarre … tournez-vous un peu, vous me rappelez quelqu’un. Quelqu’un de connu.
- Charlie Chaplin ?
- Non.
- Greta Garbo ?
- Pas du tout.
- Laurel et Hardy ?
- Non plus.
- Qui, alors ?
- Un Américain.
- Abraham Lincoln ?
- Connu, je vous dis !
- OK !
- Vous êtes un peux vieux, non ? … pour venir traîner ici … chez les filles …
- Vieux ? Si tu le dis … Mais je n’en suis quand même pas au stade où, quand ils m’aperçoivent, de gentils pédés à l’anus artificiel se précipitent vers moi pour m’aider à traverser la rue !
Braco offrit quelques canettes de « Blue Moon » à Allison. Sur une estrade, un type chantait avec des grâces aux élégances nostalgiques et, sous des splendeurs désespérées, le son éclatait pleinement avec de belles rondeurs cuivrées et des chatteries aux fêlures pudiques et graves. Précipité d’une alchimie capiteuse, il incarnait cette combinaison instable entre beauté sauvage et extrême sophistication. Il interprétait « Let’s get back to me and you » d’une voix creusée aux Marlboro Red, comme le cow-boy de la marque sur de la country-rock qui soulevait une poussière de western.
A la fermeture Allison suivit Braco jusqu’à son hôtel avec, dans le regard, cette sorte d’attendrissement fatigué des personnes d’âge. Elle traînait un peu les pieds. Sitôt entrée dans la chambre, Allison se colla contre lui, prit sa tête à deux mains et l’embrassa sur la bouche. Puis elle lui dit, avec un accent un peu traînant : « Very good for my english ! »
Peu avant six heures, au réveil, Kenny Braco retardait le moment d’ouvrir les yeux. Se donner cinq minutes. Bercer ce qui restait en lui de sommeil. Émerger avec la douceur d’une bulle de savon détachée de sa paille. Se laisser caresser. Mais non. Plus de caresses. « Hissez le grand foc ! » Allison avait mis les voiles, et la vapeur ! Avec la montre en or massif et le portefeuille de Kenny Braco.
« Sale pute ! Elle était partie avec mes revenus ! »
Il était certain de la retrouver le soir même.
Vers 2 a.m. il se rendit d’abord au Diam’s, mais pas d’Allison. On allait fermer. Les clients étaient rentrés chez eux ou dans leur hôtel. Les serveurs débarrassaient les tables. Sur la piste de danse, personne. Seulement quelques traces. Comme sur la place d’un village quand le cirque est parti.
Puis, plein de rage, il se rendit dans la 125 ème rue, à l’Apollo, à Harlem - le club de jazz le plus célèbre au monde -, où se produisaient le jeune Louis Armstrong et son Hot Five.
À cette époque-là, Bret D. Ratcliff, gouverneur de l’État, y venait tous les soirs. Il achetait deux billets d’entrée. Un pour lui, et un autre pour son chapeau. Nerveux, agité de la cuisse, il donnait l’impression de se lever quand il était assis, et de sortir quand il entrait. Souffrant d’un mal implacable venant de l’oreille interne, il se plaçait toujours tout près de l’orchestre … afin de ne plus entendre … « Radio acouphènes » !
Mafioso sur les bords, Ratcliff suintait fort le billet vert. Peut-être l’un des hommes les plus dollardés de New York.
Sélectionné par LA DEPECHE DU MIDI : GANGSTERN livre de l'été 2021 !
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