CREUSER LE SILENCE
CREUSER LE SILENCE est un recueil de poèmes de Michel CALS - Collection SOLEIL DE NUIT
"Creuser le silence", tout un poème(s) !"
La revue du Tarn
Ce recueil a été couronné par l'Académie des Jeux floraux qui lui a attribué
le PRIX Pierre Massé


LES PREMIERES PAGES DE CREUSER LE SILENCE :
En guise de liminaire, il s'agira d'un impromptu... une sorte de jeu, une gageure. Un défi, à la manière de ceux des Dames de jadis qui imposaient à leurs amants une prouesse. Tout ça parce que je lui avais dit, au téléphone, par SMS, mails, combien, depuis notre rencontre de l'été – cette belle flambée de soleil – et le départ qui s’en suivit, me semblait pesante la distance, la séparation, combien je redoutais le temps perdu, le vide, l’attente vaine, le silence… Ecris, me dit-Elle en riant ! Comble le vide ! Fais de nécessité vertu. Gagne ton pain de mots au lieu de te morfondre, de gémir, de te plaindre. Ecris donc, puisque c’est ça que tu sais faire, avait-Elle ajouté, avec ce petit rire étouffé qui ponctue si souvent la chute de ses phrases. La règle allait de soi. Elle en était la suzeraine et j’étais son vassal. Elle choisirait les mots, sans que j’aie à redire, et j’aurai à m’exécuter. Le premier de sa liste pour illustrer la lettre A, serait Amour. Rien de moins. Il en sera ainsi, dit-Elle. Et j’acquiesçai. Pouvais-je dire, sur l’instant, autre chose que oui, séduit, conquis, applaudissant à sa requête, trouvant l’idée piquante, l’invite romanesque. Mais l’élan d’enthousiasme passé, je déchantai. Non pas tant que je mesurasse le risque qu’ainsi Elle me faisait courir, à me dévoiler, me mettre à nu, me rendre à ses raisons si promptement, sans coup férir et sans combat, qu’à prendre soudain conscience de la vanité de l’entreprise. Ce qui semblait de prime abord si simple me parut, à y réfléchir, quasi insurmontable. Car que dire vraiment, comment faire, et par quel bout m’y prendre ? Tout n’a-t-il pas été mille et mille fois dit, redit, rabâché, depuis que d’amour on se mêle et que d’amour on parle ! Que dire de neuf dès lors ? Sur le même métier remettre encore l’ouvrage, comme Elle m’y invitait, choisir des mots polis, polir des mots choisis, faire beau, faire bien, tout en étant sincère, juste, économe, vrai. Chimère ! Était-ce seulement possible ? Tout en se gardant, bien sûr, du prurit littéraire, en s’épargnant la tentation de faire le savant, de citer le poète ou le sage ? Ne rien glaner qui ne soit de son champ, même quand vous montent aux lèvres, sans que vous le vouliez, les vers si purs de Bérénice : « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous / Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? » ou que sourdent en cascade les poèmes appris, les élégies, les lamentos, les plaintes. Rien de tout cela donc. Rien. Voire ! Mais cet « amour » alors, par quel bord l’attraper, ce mot si galvaudé, si usé, si râpé, si ravaudé de méchant fil à force d’avoir traîné partout, roulé par trop de bouches, truqué, tronqué, trafiqué d’artifices, de mensonges et d’illusions, au point de se payer le luxe, rare dans la langue française, de changer de genre, entre le singulier et le pluriel !
Quel défi donc à relever, quand on ne saurait plus être naïf, être neuf. Et dès lors que ce mot redoutable se prête aux errances et aux métamorphoses, de quel amour s’agit-il donc ? De l’amour avec un grand A, masculin si étrange et si singulier quand il se pare de la majuscule, trop souvent vaniteux et enflé de l’orgueil de sa vocation cardinale qui à force de faire le prétentieux, poète parfois au-dessus de son luth. Ou s’agit-il de l’amour avec un petit a, petit a des amours plurielles, minuscules, buissonnières, devenues féminines, et qui, légèreté et goût du jeu, glissent, par diminutif, d’amours en amourettes.
J’ai exploré les deux versants, goûté des deux régimes. Nourri de poésie pour laquelle l’amour n’est rien qu’un pseudonyme, de romans dont, depuis Tristan et Yseult, il n’est que la note soutenue, le fil rouge, ou le flux de sang, j’ai établi l’Amour au pôle aimanté de mon âme. Au plus loin, au plus haut. Au plus intime. Vertu cardinale dans ma théologie profane et seul miracle consenti dans ma foi de sceptique. Amour du prochain ou amour du lointain, Eros antique ou Agapé, beau geste de Jésus envers les plus humbles humains des Evangiles, Amor Fati de Nietzsche, amour passion, amour prison, amour de l’amour même, que m’importe au fond ses infinies déclinaisons, quand la vie, à mes yeux, est à son seul service. Sa fin. Sa justification. Vitam impendere amori ( consacrer sa vie à l’amour) proclame le plus touchant de mes poètes favoris, Guillaume Apollinaire, en titre de l'un de ses plus beaux recueils. Comment ne pas souscrire à cette devise, se conformer à cette injonction ? S’abaisser, s’élever, se mettre à sa hauteur, se faire serviteur zélé, ministre empressé d’un tel maître.
J’ai aussi bien joué et déjoué des amours et des amourettes, vaticiné, donjuanisé. Afin de séduire et soumettre. Eblouir, subjuguer. J’ai fait le paon, j’ai fait le beau. J’ai pris et j’ai quitté. Et j’ai joui d’être joueur. Aimé ce drôle de jeu à qui perd gagne. Ou l’on donne beaucoup de soi, ou on laisse parfois plus que des plumes. Mais n’est-ce pas le prix à payer ? Pour éprouver l’exaltation de vivre soudain comme au-dessus de soi, plus fort, plus intensément et plus vite. A ressentir la palpitation de son cœur et s’éprouver mortel et immortel tout à la fois, dans ces instants où l’amour et la mort se tutoient et se touchent. Cette pente-là de l’amour, si emblématiquement masculine, s’accorde à la fièvre et l’élan, à la ferveur de la jeunesse. Elle se veut nomade, prédatrice, elle vient de très loin, du tréfonds de notre cerveau reptilien, pour qui les femmes sont des prises, des proies, cheptel qui donne du prestige, ventres qu’il faut ensemencer. Des siècles de civilisations n’ajoutent pas grand-chose à ces instincts premiers de mammifères. Nous ajoutons des mots, nous savons à peu près les écrire.
Alors tout aussi bien, je pourrai dire que de l’amour je ne sais rien, que c’est un mot valise qui ne renferme rien, un mot qui ressemble aux auberges espagnoles où l’on ne trouve que ce que l’on y apporte. Un mot comme le vent qui n’a ni erre ni frontière et qui souffle où il veut. Peu importe à vrai dire qui il est, ce qu’il est, ̶ pur concept ou sac à malice ̶ si je parviens à entrevoir ce qu’il me fait, à concevoir ce qu’il me fonde.
Alors plutôt que de l’amour qui demeure un mystère, je dirai pour finir quelque chose de l’amoureux qui est à l’amour ce que l’incarnation est à la divinité. Comme je ne sais parler que par image, je choisirai la figure de l’Amoureux ( The Lover ) qui est la sixième lame du Tarot de Marseille. La carte met en scène le sujet, entre deux effigies féminines, surmonté d’un angelot ailé, arc tendu, qui s’apprête à décocher sa flèche. Il est convenu d’admettre que les deux figures féminines incarnent la double postulation de l’amoureux. Celle de gauche, échevelée, profil inquiétant, abaissant sa main vers le sol, fait mine de caresser la cuisse du personnage, l’incitant au plaisir charnel. Celle de droite, chevelure soignée, de face, met la main sur son cœur pour indiquer son choix. L’Amoureux est confronté à son libre arbitre. Il ne tient qu’à lui de choisir. L’Ange toutefois, invisible à ses yeux, du haut de son ciel constellé de rayons, lui suggère le bon choix... Qu’en sera-t-il ? Que fera l’Amoureux ? Il est libre... Du moins le croit-il ! Du moins le croyons-nous ! Un dernier mot peut-être, un dernier signe... emprunté au bestiaire... s’il faut un emblème à l’amour alors que ce soit le Phénix, cet oiseau fabuleux qui renaît de ses cendres et qui incarne ce qui est immortel, ce que certains appellent l’âme, ce qu’il me plaît de dire Amour.